samedi 26 novembre 2016

La langue fourchue



La langue a un rôle dans les fonctions du goût, de la déglutition, et de la parole. Intéressons-nous à cette dernière fonction afin d'éviter les excès de la deuxième.

Youtube est une chaîne qui a le mérite de les comporter toutes, jusqu'aux télévisions turkmènes les plus censurables. On peut y trouver également des émissions radiophoniques de choix. J'ai pourtant l'impression, sans doute tronquée par mon exil, que l'on parle désormais français comme les milliers de vaches espagnoles que l'on sacrifie quotidiennement à Guijuelo. Un tour d'horizon succint me servira à aiguiser mon propos. Voici ce que j'ai d'abord pu noter chez l'ex-interlocutrice de Feu Philippe Muray, transfuge du Marché de poissons de Rungis, Élizabeth Lévi: "je ne veux pas que nos auditeurs vous mal comprennent". Je ne sais pas si l'adverbe "mal" peut ici s'antéposer ou si le verbe malcomprendre existe. C'est trop léger pour que l'on s'en offusque. D'ailleurs, je ne m'offusque de rien. Passons.

Puis vient l'interview de Nadège Polony à Mélanchon. Je pensais justement que ces deux là se mal comprenaient. Mais pas du tout. Ça rigolouille. Ça franchouillise même. On ne se tire pas dans les pattes. Loin de là. Mélanchon nous la joue même plutôt technocrate. Quoiqu'il laisse entrevoir un amour des livres "Ben, il faut aller chercher un peu dans les bouquins" puis de la vie citadine "J'aime les ville, j'ai droit j'veux dire", pour conclure par son manque d'originalité intrinsèque mais assumé : "Des gens comme moi y'en avait plein". J'ai alors cru qu'un zapping immédiat s'imposait. Je cliquai donc sur une autre émission de Madame Polony, qui recevait Pierre de Villiers, superchouan converti dans le chouinement cathodique. On remarque chez Florent de Villiers, une manie du "quoi", que les gens de ma génération ont tendance à utiliser à outrance. On lui pardonnera. Puis le même politique avoue à sa Poloniaise préférée que ses confrères "ils ont préféré la sphère du mondialisme que l'intérêt supérieur de la France et des français." Ils ont donc préféré le libéralisme que la tradition.

Je note dans les reportages deux anglicismes fréquents. L'un, acceptable et rigolo. L'autre incorrect. Prenons la phrase : "Elle était très excitée par ce nouveau challenge". En anglais "excited" renvoie à l'exaltation, la jubilation, l'équivalent du phrasal verb "to look forward" (avoir hâte de) alors qu'en français l'aspect hormonal de la sensation n'est pas négligeable et donne une tournure quelque peu pornographique au propos. Truffaut utilise par exemple l'adjectif dans une scène merveilleuse de l'Amour Conjugal où Léaud fait semblant de lire un article totalement inventé à sa femme où il est question d'une "call-girl excitée".

Les anglicismes en français sont presque toujours incorrects, contrairement à leur usage dans le français québécois ("game" "weird" "to check" etc.) Un verbe anglais comme "to support" trouve un équivalent abusif avec "supporter". Pour soutenir l'OM qui est si nul, on peut à la rigueur supporter cette équipe. Mais soutenir nous permet de ne pas trahir le sens original et soutient mieux la comparaison.

Nul doute que nous ne dirons bientôt plus "je me suis senti à l'aise" mais, "je me suis senti confortable".


Le débat de la primaire a également offert son lot d'irrégularités lexicales et grammaticales. Fillon: "Moi c'que j'veux"... et une tournure anglo-américaine juvéniste "C'est juste pas acceptable (ici un "quoi" devillien aurait fait un bel effet), "Ce deuxième tour, c'est pas un combat". Juppé: "Faut y aller à fond!" "Droit dans mes bottes je suis, droit dans mes bottes je resterai!" "Avec vous c'est la super pêche!". Du côté de Juppé, le message visait l'adhésion des jeunes. Chez Fillon, le Malparlé ciblait davantage les campagnards syndiqués amateurs de Beaujolais.

Les spin-doctors ont retenu les leçons d'Outre-Atlantique, où un gueulard rougeot a su séduire la plouquerie collective en sachant fourcher sa langue par écrans interposés. En un mot, inutile de jouer aux bécasses subjuguées par une telle élection, quand celle qui se prépare en terre française laisse (déjà) un goût d'inachevé.

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